Par Noël Simard – 1er décembre 2024
Cet article explore le rôle essentiel de la spiritualité dans le processus de rétablissement et de guérison. À travers un cadre conceptuel et l’exploration du spiritual care, l’auteur met en lumière l’importance d’intégrer la dimension spirituelle dans les soins médicaux pour améliorer le bien-être global des patients.
La spiritualité est de plus en plus reconnue comme ayant le potentiel de prévenir, de faire face, d’accompagner les personnes touchées par la maladie, mais aussi d’offrir au corps médical la sollicitude espérée à l’égard du patient. Malgré certains flous épistémologiques, la grande majorité des recherches scientifiques portant sur l’impact de la spiritualité à l’égard de la santé appuient l’idée que le potentiel spirituel est une contribution indéniable à la santé physique, psychique, voire mentale, des personnes malades et souffrantes. Aujourd’hui, un regard global de la santé exige donc une intégration de la dimension spirituelle. Mais de quoi parlons-nous ? Il est nécessaire de répondre à cette question en offrant une définition la plus claire possible au sujet de la spiritualité dans son rapport à la santé, dans le respect du champ de compétence de chacun. Il sera alors possible de voir combien la prise en compte de la réalité spirituelle fournit à la médecine d’aujourd’hui et de demain l’occasion de consentir au réel, spécialement dans ce qu’il présente de vulnérable, de « fini », de fragile, d’irrésolu, mais aussi et surtout de mystérieux.
Après avoir offert un cadre conceptuel portant sur le vis-à-vis entre spiritualité et santé, nous présenterons quelques éléments sur l’influence de la spiritualité à l’endroit de la santé, sans oublier la notion phare de soins spirituels ou de spiritual care. Nous pourrons terminer cette réflexion en offrant quelques voies possibles en vue d’une meilleure intégration de la spiritualité dans la santé.
Le cadre conceptuel
Dans un article mis à jour en 2019, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) reprend la définition de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) au sujet de la santé pour la définir comme un « état complet de bien-être physique, mental et social » 1. Adoptée par Santé Canada, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) y fait écho quand il la définit comme « le maintien et l’amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes à agir dans leur milieu [pour] accomplir les rôles qu’elles entendent assumer d’une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie » 2. Cette définition assume les « déterminants de la santé », sachant que le progrès de chacun d’eux contribuera à « une meilleure santé des individus de la communauté ». L’article en cite 12 : « revenu et statut social », « réseaux de soutien social », « éducation », « emploi et conditions de travail », « environnement social », « habitudes de santé », « développement sain de l’enfant », « culture », « sexe », « services de santé et de services sociaux » et « biologie et génétique ».
Dans le cadre de notre article voulant analyser l’impact de la spiritualité dans un processus de rétablissement et de guérison, nous nous interrogeons sur le fait que cette définition de la santé n’intègre pas la spiritualité comme déterminant de la santé alors que nous savons que dans son effort à définir ce qu’est la santé, la Chartre de Bangkok (2005) inclut la dimension spirituelle. À l’aune de l’intelligence artificielle (IA) et de son potentiel quasi infini, il nous semble important de nous interroger sur les conséquences de cette omission et souhaitons suggérer à nouveau ce vis-à-vis entre santé et spiritualité. Pour dire les choses autrement : « peut-on être pleinement en santé sans prendre en compte sa propre spiritualité ? » L’intégration de la spiritualité dans la notion même de la santé ne corrige-t-elle pas la définition de la santé ? Pour répondre à ces questions, il nous faut bien évidemment définir la spiritualité dans son apport possible à la santé considérée dans son potentiel holistique.
Le concept de spiritualité
Dans un article de 2006 s’intitulant Spiritualité et santé3, je propose un état de la question au sujet de la spiritualité dans son rapport à la santé, surtout aux soins infirmiers. L’infirmière Burkhardt (1989) offre trois caractéristiques à la spiritualité : dévoilement du mystère, communion harmonieuse et force intérieure. Dans son livre consacré à l’aspect spirituel des soins infirmiers, Carson (1989) conçoit quant à lui la spiritualité comme un concept à deux dimensions : la dimension horizontale ou existentielle qui touche les valeurs inhérentes aux relations humaines et aux activités qui [donnent sens à la vie] et la dimension verticale ou religieuse qui fait référence à une relation avec la transcendance ou avec un être suprême (p. 109). À noter que dans un récent article (2019), le professeur Barreau, responsable du programme Spiritualité et santé aux cycles supérieurs de l’Université de Montréal, offre un paradigme en la matière pouvant associer à la fois transcendance et immanence ouvrant ainsi la transcendance spirituelle a un projet global de santé4.
Il est alors louable de distinguer spiritualité et religion offrant à la première un socle plus séculier et donc plus universel. Par anthropologie, nous entendons la prise en compte fondamentale de la personne humaine. On peut ainsi dire que tous ceux qui, sans se réclamer d’une religion, recherchent un sens ultime à leur vie et à leur réalité bien concrète, se situent dans un certain chemin d’intériorité, visent un projet global à leur vie et s’inscrivent déjà dans une certaine spiritualité. Elle serait alors un élément constitutif de l’être humain qui cherche à unifier son expérience de vie autour d’une quête de sens qualitative, autour d’une unification personnelle. Telle que l’Association catholique canadienne de la santé le souligne, la spiritualité « (…) est cette lutte que nous menons en vue d’atteindre l’autotranscendance (…) lutte faite d’efforts en vue de trouver un sens, une finalité, ainsi qu’une connaissance du transcendant comportant des aspects personnels, communautaires et publics » 5.
Pour offrir une première définition au sujet de la spiritualité, reprenons ce premier cadre conceptuel. Quête de sens, la spiritualité n’est pas réservée aux milieux religieux, bien que ceux-ci puissent largement la qualifier. Articulant transcendance et immanence, elle offre une vision sur l’être humain qui se veut globale jusqu’à taper à la porte des paradigmes touchant la santé. Efficiente, elle renvoie à la capacité de la personne humaine à se dépasser, à se mouvoir intérieurement. Attractive, elle inscrit ladite personne dans un projet interpersonnel qui ouvre à l’autre voire à l’Autre.
De ce fait, appliquée à la santé, la spiritualité ne peut se réduire à un certain positivisme compris comme « est, ce qui se voit ». Si sous le prisme du positivisme, elle « se construit sur l’orientation majeure de la guérison, à partir de la correction des défaillances majeures visibles cliniquement et prouvées par la biologie et la radiologie » 6, sous l’angle d’une anthropologie intégrative, elle devient la science de l’invisible, d’un projet global au service de la personne humaine. Elle « profite » de chaque « crisis » (terme que nous traduisons comme un ébranlement personnel lié à des problèmes de santé ou autres) pour un aggiornamento intérieur de la personne. Appliquée à la santé, elle devient une problématique relationnelle : relation à l’autre, relation à soi, relation aux autres, relation à la création et éventuellement relation à l’Autre.
Déjà en 2011, Lecordier distinguait deux types de paradigmes au sujet de la santé dans le cadre des sciences infirmières. Le premier étant le paradigme de l’intégration, qui se fonde sur le principe selon lequel « ce qui domine dans un phénomène de santé, ce n’est plus une seule cause [mais bien l’intégration de facteurs regardants] la réaction de la personne et de son entourage » (p. 83). Le deuxième est le paradigme de transformation qui lui se base sur « le principe de la santé comprise comme perpétuel changement situant ainsi l’individu dans une dimension personnelle complexe et une expérience unique en interaction avec le monde lui aussi complexe dans son immensité et sa diversité » (p. 84). Loin du positivisme et de son possible paradigme de « catégorisation », celui de « transformation » induit une anthropologie relationnelle faisant appel à la spiritualité dans sa propension relationnelle. Cette transformation ne provient-elle pas de soi dans sa capacité à l’autre ? Cet autre induisant le rôle du proche aidant, de l’accompagnant ou du corps médical. Cet autre offrant sur un plateau d’argent le concept même de spiritual care.
Le spiritual care
« En d’autres mots, être attentif au spiritual care au cœur du soin renvoie à une attitude de fond, à un autre niveau d’attention à ce que vit la personne souffrante et à l’ensemble de ses besoins et désirs » 7, disait déjà Jacquemin en 2016 (p. 36), mais également à une attention plus grande à ce qui traverse, au niveau de l’intériorité, le soignant « au cœur de l’acte de soin s’il est question d’y entrer dans une certaine dimension de mutualité dans la rencontre » (ibid.). De ce fait, les soins spirituels ou le spiritual care sont de plus en plus traités comme une discipline clinique et intégrés dans les milieux de soins. Fort du principe de transformation, ces soins peuvent être définis comme la rencontre de deux intentionnalités, celle du patient sollicitant le soignant et celle de ce dernier considérant l’accompagné. N’est-ce pas ce qui noue durablement l’alliance thérapeutique ?
Dans la ligne de l’héritage laissé et promu par les soins palliatifs qui, avec Cecily Sanders, ont développé l’idée de total pain ou de souffrance globale, le spiritual care8 est donc généralement perçu comme la réponse apportée par un soignant à une personne malade qui fait l’expérience d’une souffrance spirituelle en écho avec une souffrance dite existentielle. Dans cette optique, le spiritual care comprend une action, à savoir la sollicitude, telle que définie par Paul Ricoeur dans soi-même comme un autre, l’altérité lévinassienne y étant revisitée par le réalisme de l’éthique clinique. Ici, la relation de soins spirituels survient précisément comme une rencontre, un surgissement, une qualité de lien [en partie mystérieuse] sur laquelle on ne peut avoir de contrôle. Le spiritual care offre un horizon commun soignant/soigné dont la seule limite est la spiritualité qui s’y vit. Il revient au soignant « de s’ouvrir au mystère, de lâcher prise et de se dépouiller de tout ce qui entrave cette ouverture authentique à l’autre souffrant et vulnérable » 9. Ici, la relation de soin peut devenir « moment de grâce », « lien de vie ». En revanche, s’il y accueil de ces « moments de grâce », il y a aussi la confrontation ou la résistance au réel fait de doute, de possibilité de découragement, de tristesse et d’épuisement. La relation de soin exige aussi l’effort. Celui qualifié par la vertu de la sollicitude, qualité si proche de celle de compassion. Nous devons donc sans cesse cultiver notre sensibilité et notre attention à l’autre. Reviens à la culture dans laquelle nous sommes plongés de nous rendre sensibles à la souffrance et aux besoins de l’autre, de développer en nous la prévenance envers autrui, ce qui est contraire à l’indifférence que le pape François dénonce régulièrement.
Plusieurs établissent une étroite corrélation entre spiritualité et santé. D’autres veulent garder à ces disciplines leur autonomie et maintiennent une distinction ou même une barrière entre ces champs de la réalité humaine. Quoi qu’il en soit, force est de reconnaître que la spiritualité est devenue un sujet de grand intérêt et qu’elle est de plus en plus reconnue comme ayant le potentiel de prévenir, de guérir ou d’affronter la maladie. On accorde un appui croissant à l’idée que les valeurs spirituelles et les buts de la vie apportent une contribution indéniable à la santé physique, affective, psychologique et mentale ainsi qu’au goût de vivre.
Que le religieux ou le spirituel influence la guérison, cela ne saurait être remis en question dans la plupart des civilisations non occidentales et dans plusieurs médecines alternatives occidentales. Nombre d’études ayant examiné le lien entre spiritualité, religion et santé mentale, ont révélé que les individus qui ont une forme de pratique spirituelle, voire religieuse, présentent une meilleure santé mentale et font face au stress avec plus de succès. D’autres recherches ont démontré que les personnes malades ont des besoins spirituels plus grands en temps de maladie et que la prise en considération de ces besoins peut accroître les chances de guérison10. Ainsi donc, le bien-être spirituel peut signifier de meilleurs résultats sur la santé et des effets bénéfiques sur ceux de la longévité, des habiletés d’adaptation à la maladie, de la qualité de vie et des attitudes positives face à celle-ci (moins de stress, de dépression et de pensées suicidaires). Les professionnels de la santé ont intérêt à reconnaître, à discerner et à soutenir les besoins spirituels des gens malades, ce qui peut être fait dans une attitude de respect, d’écoute, de dialogue et de sollicitude. Le spiritual care a ceci de paradoxal et d’unique : en prenant soin de l’autre et en y intégrant la dimension spirituelle qui incombe à toute relation, le soignant prend aussi soin de lui. Ce privilège n’appartient-il pas à la spiritualité ?
Notes
1 https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/livres/boite-outil-evaluation-environnementale-quebec-meridional/la_sante_quelques_definitions.pdf, visité le 20 septembre 2024.
2 https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/S-4.2, visité le 21 septembre 2024.
3 Noël Simard, « Spiritualité et santé », dans Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire, vol 12, no1, 2006, pages 107-126.
4 Jean-Marc Barreau, « Éthique de la considération : transdescendance et transascendance », dans Laval Théologique et Philosophique, vol 75, no3, 2019, pages 455-475.
5 Association Catholique Canadienne de la santé, « Spiritualité et santé – Ce qui est bon pour l’âme l’est aussi pour le corps », Ottawa, 1996, p. 13.
6 Didier Lecordier, « La santé et les soins infirmiers : l’évolution de concepts centraux dans un contexte scientifique donné » dans Recherche en soins infirmiers 2011/3 ( No 106), p. 82-85.
7 Didier Dominique Jacquemin, « Spiritual care et cheminement des soins », dans Revue JALMAL, 2020, No 143, Université Catholique de Louvain, p. 35-41.
8 Hibon Claire, Pujol Nicolas, « Qu’est-ce que le spiritual care? », dans Jusqu’à la mort accompagner la vie, 2020/4 ( No 143), Éditions universitaires de Grenoble, pages 11 à 23.
9 Hibon Claire, Pujol Nicolas, « Qu’est-ce que le spiritual care? », p. 16.
10 Mueller, P.S., Plevak D.J., Rummans T.A., « Religious Involvement, Spirituality, and Medicine: Implications for Clinical Practices », Mayo Clinic Proceedings, 2001, 76, 1225-1235.
Noël Simard détient un diplôme de maîtrise en théologie de l’Université Laval et un doctorat en théologie morale de l’Université Grégorienne de Rome. Il a enseigné la théologie morale et la bioéthique à l’Université Saint-Paul d’Ottawa et à l’Université de Sudbury tout en étant directeur du Centre d’éthique de ces universités. Après avoir été évêque auxiliaire au diocèse de Sault Ste. Marie, Ontario, de 2008 à 2011 et ensuite évêque de Valleyfield de 2012 à 2024, il a pris sa retraite le 28 novembre 2024. Il a été membre de nombreux comités d’éthique et de recherche d’hôpitaux du Québec et de l’Ontario, membre du comité de direction de la Fédération Internationale des Universités Catholiques, président de l’Université du troisième âge de Sudbury et membre de la fédération internationale des bioéthiciens catholiques. Il est actuellement membre du conseil de direction de l’Académie pontificale pour la vie du Vatican. Ses champs de spécialisation et d’intérêt sont les questions éthiques du début et de la fin de vie, les soins palliatifs, la spiritualité et la santé, la notion de dignité et du respect de la personne ainsi que les questions de la justice sociale et de la migration.